Un pavé dans la mare pour certain. Une innovation pertinente pour les autres. C’est selon les points de vue et les opinions politiques. Ce nouvel édifice qu’est le coliseum, dénommé « Kianja Masoandro », construit dans l’enceinte même du Rova d’Antananarivo, a suscité et continue à susciter une vive divergence d’opinions à Madagascar et même au-delà des océans.
Ce fait d’ordre socio-culturel n’est certes pas aussi important que le coronavirus, mais n’empêche qu’en ce moment, il préoccupe sérieusement les Malagasy, et suscite des remous, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. Pour la construction de cet édifice, apparenté aux théâtres de l’antiquité greco-latine, les instigateurs du projet ont choisi l’enceinte du Rova d’Antananarivo où les travaux avancent à pas de géant. « Pour être achevés avant la fête de l’Indépendance, du 26 juin prochain », selon les responsables.

Désaccords des royalistes conservateurs
Les réactions ne sont pas fait attendre. D’une part, celles de ceux qui s’opposent à la présence de ce coliseum sur les lieux qu’ils pensent sacrés et qui de ce fait doivent conserver leur identité et leur originalité, et d’autre part, celles de l’Etat, l’initiateur de cet ouvrage qui croit, ou qui se croit avoir embelli le Rova par l’introduction de cette infrastructure originale, non pas de par sa nature, mais plutôt à cause de son emplacement.
En effets, les opposants crient haut et fort leur désapprobation à l’encontre des dirigeants de l’Etat qui de leurs avis, ont perpétré un véritable sacrilège en faisant construire ce colisée au Rova. « Ce coliseum n’a point sa place dans l’enceinte du Rova d’Antananarivo. Cet édifice détonne disgracieusement avec l’ensemble des patrimoines nationaux qui y étaient initialement présents, depuis l’époque monarchique à Madagascar. Ils auraient du mettre ça ailleurs, mais surtout pas là où il se trouve maintenant ». Pour renforcer leurs dires, ils expliquent les différents problèmes que vit actuellement du pays comme étant dus à cet acte de sacrilège, sinon de désacralisation à l’encontre de tout ce qui se rapporte à l’ancienne époque royale.
Parmi ces récalcitrants figure au front l’association Taranak’Andriana miray eto Madagasikara ou Tamima, rassemblant les personnalités et descendants royaux de Madagascar dont celles des régions. Une entité créée par le révérend Dr Ndriana Rabarioelina, royaliste, fervent défenseur du retour vers la monarchie, et non moins actuel président de cette association, avec le pasteur Tolotra Ratefy, un tenant résolu de la thèse sur l’origine juive du peuple malagasy. Le premier a décroché ses doctorats aux Etats-Unis, dont un PhD en théologie, et une autre thèse pluridisciplinaire, intitulé « Madagascar dans les derniers vestiges du berceau de l’humanité », par lequel il soutient que Madagascar est le berceau de l’humanité, et que l’Arche de l’Alliance, ainsi que le jardin d’Eden se trouvent dans le pays. A ces distinctions s’ajoute une spécialisation en gemmologie, à l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ECSP).
Quant au second, Tolotra Ratefy, théologien hébraïsant et historien, il a puisé et approfondi ses connaissances en théologie dans une université en Allemagne, dont particulièrement celles de douze langues, sous les houlettes de professeurs émérites allemands, spécialistes en la matière. Sa thèse sur l’origine juive du peuple malagasy, cet érudit l’a étayée dans les 600 pages de son livre intitulé « Sind Sie Madagassische Juden ? » (Etes-vous des Juifs Malagasy ?).
Le leitmotiv de ces inconditionnels opposants de la présence du coliseum au Rova d’Antananarivo se base sur l’impertinence de l’édification de ce théâtre sur les lieux. « La construction de ce coliseum en soi ne nous incommode en aucune manière. C’est plutôt le fait qu’il s’intruse parmi les édifices du patrimoine royal du Rova d’Antananarivo que nous jugeons inacceptable », a fait savoir d’un ton formel Ndriana Rabarioelina. Un avis auquel le pasteur Tolotra Ratefy se rallie sciemment.
Un colisée acceptable, selon Francis Razafiarison
Dans l’autre camp, celui des concepteurs, en l’occurrence l’Etat qui a convoqué des commissions scientifiques et techniques pour élaborer la planification de ce projet, les arguments sont axés sur l’existence d’un projet de construction d’un édifice de même genre que le Kianja Masoandro, datant de l’époque royale, sous le règne du Ranavalona III, et que celle-ci comptait baptiser « Lapa Masoandro ». Mais la réalisation n’a jamais abouti du fait de l’arrivée des colonisateurs français qui ont délibérément mis un terme à tout ce qui se rapportait à la culture des Malagasy.
Le directeur général de la Culture au sein du ministère de la Communication et de la Culture, Francis Alexandre Razafiarison, historien et géographe, s’explique avec des arguments culturels et techniques sur les aspects qu’il juge positifs de la construction du Kianja Masoandro au Rova d’Antananarivo. « Etant un fidèle disciple du professeur Rafolo Andrianaivoarivony, un de mes éminents professeurs à l’université qui nous a appris les valeurs des patrimoines culturels, des jalons historiques qu’il faut tâcher de protéger en d’entretenir, et d’en conserver autant que possible l’originalité, je dirais que je suis à 30% contre la construction du Kianja Masoandro dans l’enceinte du Rova d’Antananarivo. Mais, vu sous un autre angle, cette initiative s’avère positive, car elle apporte un plus aux patrimoines culturels de Madagascar. Et les 70% restants, je les confère à mon consentement ».
Il est à noter que le professeur Rafolo Andrianaivoarivony, faisant partie du comité scientifique en tant que directeur de cette commission, en vue de la construction de ce coliseum, a délibérément renoncé à cette responsabilité. Néanmoins, l’Etat lui a refusé sa demande de démission, et que de ce fait, il reste membre à part entière de cette commission.

Comme exemple de la modification des anciens sites historiques, Francis Razafiarison a cité la pyramide de verre, au musée du Louvre à Paris, situé en plein milieu de la Cour Napoléon. « Cette infrastructure, bien qu’elle ait été conçue en référence aux pyramides égyptiennes, n’a en rien dévalué le patrimoine culturel français. Bien au contraire, la présence de ce nouvel élément au Louvre a davantage attiré les touristes qui y voyaient un attrait touristique original », a-t-il argué. Et de souligner : « Au début, quand François Mitterrand avait annoncé la réalisation de ce projet, bien des gens ont manifesté leurs désaccords, mais au fil du temps, ceux-ci ont fini par s’y faire, et les critiques négatives se sont dissipés ».
Sur le plan technique, Francis Razafiarison a évoqué l’initiative de l’ex-Président, Marc Ravalomanana qui a inclus dans les ouvrages de la réhabilitation du Rova, des colonnes massives en guise de piliers servant à soutenir la partie anciennement construite en bois qui a été incendiée en 1995. « Ils ont utilisé du béton armé pour la confection de ces piliers de plus d’un mètre de large, et personne n’a alors réagi », a-t-il fait savoir, tout en ajoutant qu’en termes d’originalité, même l’église du Rova, étant de style italien, ne répond pas à ce critère. Mais personne n’a trouvé à redire.
Rivo Steph
L’OAM, omis du projet Coliseum du Rova L’Ordre des architectes malagasy (OAM) ne fait pas partie de la commission technique chargée de la construction du Coliseum dans l’enceinte du Rova d’Antananarivo. Seul un des membres de cette entité a été sollicité pour la réalisation de ce projet. Cependant, selon les dires de l’AOM, ce dernier n’y participe pas au nom de l’AOM, mais juste à titre personnel. Concernant les caractéristiques de ce colisée du Rova, l’OAM a signifié qu’il n’en a aucune idée dans la mesure où il ne possède aucun document technique, ni les moindres données sur cet ouvrage. Et que par conséquent, les architectes de l’Ordre ne peuvent se prononcer à ce propos à partir de simples images, vues sur les réseaux sociaux pour dire de quel genre d’architecture il s’agit. Il est à savoir qu’en France, seuls les membres des Architectes des Bâtiments de France ou ABF - un corps constitué d’architectes spécialisés - sont les seuls habilités à participer aux travaux relatifs à la réhabilitation des édifices et monuments protégés ou non de ce pays. « Les architectes de l’ABFsont des fonctionnaires français d'encadrement supérieur (catégorie A+) appartenant au corps des Architectes et urbanistes de l'État (AUE), ayant opté pour la section « patrimoine ». A Madagascar, une telle structure spécifique étant inexistante, l’Etat a choisi les membres des commissions technique et scientifique selon des critères qu’il a définis au préalable.